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Bibliothèque nationale de France

Bulletin des lois de la République française
Xe série - Premier semestre de 1852

Bulletin des lois N° 503 - Page 677

Décret organique de la Légion d'honneur

Du 16 Mars 1852

LOUIS-NAPOLÉON, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE,
Vu l'ordonnance du 26 mars 1816, et les décrets des 24 mars 1851, 22 janvier 1852, 25 janvier 1852, 29 février 1852 ;
Considérant que l'ordonnance précitée n'a pas été abrogée, bien qu'elle soit en partie tombée en désuétude ;
Qu'il est nécessaire de réunir dans un seul décret organique les statuts de la Légion d'honneur, afin de coordonner l'ordonnance de 1816 avec les lois et décrets subséquents ;
Sur la proposition du maréchal grand chancelier de la Légion d'honneur,

DÉCRÈTE :

TITRE Ier.

ORGANISATION ET COMPOSITION DE L'ORDRE

ART. 1er. La Légion d'honneur est instituée pour récompenser les services civils et militaires.

2. Le Président de la République est chef souverain et grand maître de l'ordre.

3. La Légion d'honneur est composée de chevaliers, d'officiers, de commandeurs, de grands-officiers et de grands-croix.

4. Les membres de l'ordre sont à vie.

5. Le nombre des chevaliers n'est pas limité ; néanmoins, comme ce nombre est aujourd'hui trop considérable, il ne sera fait dans le civil qu'une promotion sur deux extinctions jusqu'en 1856.
Le nombre des officiers est fixé à quatre mille ; celui des commandeurs, à mille ; celui des grands-officiers, à deux cents ; celui des grands-croix, à quatre-vingts.

6. Le nombre des grands-officiers, commandeurs et officiers dépassant les limites fixées, il ne sera fait dans ces divers grades, tant au civil qu'au militaire, qu'une nomination ou promotion sur deux vacances, jusqu'à ce que l'on soit rentré dans le cadre.

7. Les étrangers seront admis et non reçus ; ils ne prêtent aucun serment et ne figurent pas dans le cadre fixé.

TITRE II.

FORME DE LA DÉCORATION ET MANIÈRE DE LA PORTER

8. La décoration de la Légion d'honneur est, comme sous l'empire, une étoile à cinq rayons doubles surmontée d'une couronne.
Le centre de l'étoile, entouré de branches de chêne et de lauriers, présente d'un côté l'effigie de Napoléon avec cet exergue, Napoléon, empereur des Français, et de l'autre côté, l'aigle avec la devise Honneur et Patrie.

9. L'étoile, émaillée de blanc, est en argent pour les chevaliers et en or pour les officiers, commandeurs, grands-officiers et grands-croix.
Le diamètre est de quarante millimètres pour les chevaliers et officiers, et de soixante pour les commandeurs.

10. Les chevaliers portent la décoration attachée par un ruban moiré rouge, sans rosette, sur le côté gauche de la poitrine.
Les officiers la portent à la même place et avec le même ruban, mais avec une rosette.
Les commandeurs portent la décoration en sautoir attachée par un ruban moiré rouge plus large que celui des officiers et chevaliers.
Les grands-officiers portent sur le côté droit de la poitrine une plaque ou étoile à cinq rayons doubles diamantée tout argent, du diamètre de quatre-vingt-dix millimètres ; le centre représente l'aigle avec l'exergue Honneur et Patrie ; ils portent, en outre, la croix d'officier.
Les grands-croix portent un large ruban moiré rouge, en écharpe, passant sur l'épaule droite, et au bas duquel est attachée une croix semblable à celle des commandeurs, mais ayant soixante et dix millimètres de diamètre. De plus, ils portent sur le côté gauche de la poitrine une plaque semblable à celle des grands-officiers.

TITRE III.

ADMISSION ET AVANCEMENT DANS L'ORDRE

11. En temps de paix, pour être admis dans la Légion d'honneur, il faut avoir exercé pendant vingt ans, avec distinction, des fonctions civiles ou militaires.

12. Nul ne peut être admis dans la Légion d'honneur qu'avec le premier grade de chevalier.

13. Pour être nommé à un grade supérieur il est indispensable d'avoir passé dans le grade inférieur, savoir :
1° Pour le grade d'officier, quatre ans dans celui de chevalier ;
2° Pour le grade de commandeur, deux ans dans celui d'officier ;
3° Pour le grade de grand-officier, trois ans dans celui de commandeur ;
4° Pour le grade de grand-croix, cinq ans dans celui de grand-officier.

14. Chaque campagne est comptée double aux militaires dans l'évaluation des années exigées par les articles 11 et 13, mais on ne peut jamais compter qu'une campagne par année, sauf les cas d'exception qui doivent être déterminés par un décret spécial.

15. En temps de guerre, les actions d'éclat et les blessures graves peuvent dispenser des conditions exigées par les articles 11 et 13 pour l'admission ou l'avancement dans la Légion d'honneur.

16. En temps de paix, comme en temps de guerre, les services extraordinaires, dans les fonctions civiles ou militaires, les sciences et les arts, peuvent également dispenser de ces conditions, mais sous la réserve expresse de ne franchir aucun grade.

17. Pour donner lieu aux dispenses mentionnées dans les articles précédents, les actions d'éclat, blessures ou services extraordinaires doivent être dûment constatés.
Les propositions devront expliquer avec détail le fait pour lequel on demande la décoration ; elles seront transmises, par la voie hiérarchique, au ministre compétent, qui les présentera au Chef de l'Etat.

18. Sauf les cas extraordinaires mentionnés aux précédents articles, il n'y aura de nominations et promotions dans l'ordre qu'au 1er janvier et au 15 août.

19. Dans le mois qui précède chacune de ces époques, le grand chancelier arrêtera, en conseil de l'ordre, le tableau des vacances, conformément à l'article 6, et prendra les ordres du chef de l'État pour la répartition à faire entre les différents ministères.

20. Sur l'avis que le grand chancelier leur donnera, les ministres lui adresseront les listes des personnes qu'ils jugeront avoir mérité cette distinction.

21. De la réunion de ces listes, le grand chancelier formera un corps de décrets qu'il soumettra à l'approbation du chef de l'État.

22. Les ministres, après chaque nomination ou promotion, expédient des lettres d'avis à toutes les personnes nommées dans leurs ministères.
Ces lettres d'avis leur prescrivent de se pourvoir auprès du grand chancelier pour obtenir l'autorisation nécessaire de se faire recevoir, d'être décoré, et l'expédition du brevet.

23. Toutes demandes de nomination ou de promotion qui seront adressées ou soumises au Président de la République, par quelque personne que ce soit autre que les ministres, seront renvoyées au grand chancelier, qui en fera le rapport et présentera des projets de décrets, s'il y a lieu.

24. A l'avenir, nul ne pourra porter la décoration du grade auquel il aura été nommé ou promu qu'après sa réception, à moins que cette décoration ne lui soit remise directement par le Chef de l'État.

TITRE IV.

MODE DE RÉCEPTION DES MEMBRES DE L'ORDRE ET DU SERMENT

25. Les grands-croix et les grands-officiers prêtent serment entre les mains du Chef de l'État, et reçoivent de lui leur décoration.

26. En cas d'empêchement, le grand chancelier ou un grand fonctionnaire du même rang dans l'ordre sera délégué pour recevoir le serment et procéder aux réceptions. Dans l'un et l'autre cas, le grand chancelier prendra les ordres du Chef de l'État.

27. Le grand chancelier désigne, pour procéder aux réceptions des chevaliers, officiers et commandeurs, un membre de l'ordre d'un grade au moins égal à celui du récipiendaire.

28. Les militaires de tout grade et de toutes armes de terre et de mer, les membres des administrations qui en dépendent, seront reçus à la parade.

29. Le récipiendaire prête le serment ci-après :
« Je jure fidélité au Président de la République, à l'honneur et à la patrie ; je jure de me consacrer tout entier au bien de l'État, et de remplir les devoirs d'un brave et loyal chevalier de la Légion d'honneur. »

30. L'officier chargé de la réception d'un militaire, après avoir reçu son serment, le frappe du plat de l'épée sur chaque épaule, et, en lui remettant son brevet ainsi que sa décoration, au nom du Président de la République, lui donne l'accolade.

31. Il ne pourra être porté cumulativement avec l'ordre de la Légion d'honneur aucun ordre étranger, sans l'autorisation du Chef de l'Etat, transmise par le grand chancelier.

32. Il est adressé au grand chancelier un procès-verbal de chaque réception. Des règlements particuliers déterminent les modèles de procès-verbaux de réception.

TITRE V.

PENSIONS, BREVETS ET PRÉROGATIVES

33. Tous les officiers, sous-officiers et soldats de terre et de mer en activité de service, nommés ou promus dans l'ordre de la Légion d'honneur postérieurement au décret du 22 janvier 1852, recevront, selon leur grade dans la Légion, l'allocation annuelle suivante :
Les légionnaires..............250f
Les officiers...................500
Les commandeurs........1,000
Les grands-officiers.....2,000
Les grands-croix..........3,000
La valeur des décorations sera imputée sur la première annuité.

34. Les mêmes pensions sont accordées à tous les officiers de terre et de mer, membres de la Légion d'honneur, mis en retraite après le 22 janvier 1852.

35. Des brevets, revêtus de la signature du Président de la République et contresignés du grand chancelier, seront délivrés à tous les membres de la Légion d'honneur nommés ou promus à l'avenir.

36. On porte les armes aux officiers et chevaliers, on les présente aux grands-croix et grands-officiers et aux commandeurs.

37. Les grands-croix et les grands-officiers recevront les mêmes honneurs funèbres et militaires que les généraux de division et les généraux de brigade non employés, et, s'ils sont officiers généraux, ils seront considérés comme morts dans l'exercice de leur commandement.
Les commandeurs sont assimilés aux colonels ;
Les officiers aux chefs de bataillon ;
Les chevaliers aux lieutenants.
Dans l'ordre civil, les honneurs funèbres et militaires seront rendus par la garde nationale aux commandeurs, officiers et chevaliers.

TITRE VI.

DISCIPLINE DES MEMBRES DE L'ORDRE

38. La qualité de membre de la Légion d'honneur se perd par les mêmes causes que celles qui font perdre la qualité de citoyen français.

39. L'exercice des droits et des prérogatives des membres de la Légion d'honneur est suspendu par la même cause que celles qui suspendent les droits de citoyen français.

40. Les ministres de la justice, de la guerre et de la marine transmettent au grand chancelier des copies de tous les jugements en matière criminelle, correctionnelle et de police, relatifs à des membres de l'ordre.

41. Toutes les fois qu'il y aura eu recours en cassation contre un jugement rendu en matière criminelle, correctionnelle ou de police, relatif à un légionnaire, le procureur général auprès de la cour de cassation en rend compte, sans délai, au ministre de la justice, qui en donne avis au grand chancelier de la Légion d'honneur.

42. Les procureurs généraux auprès des cours d'appel et les rapporteurs auprès des conseils de guerre ne peuvent faire exécuter aucune peine infamante contre un membre de la Légion qu'il n'ait été dégradé.

43. Pour cette dégradation, le président de la cour d'appel, sur le réquisitoire de l'avocat général, ou le président du conseil de guerre, sur le réquisitoire du rapporteur, prononce, immédiatement après la lecture du jugement, la formule suivante :
« Vous avez manqué à l'honneur : je déclare, au nom de la Légion, que vous avez cessé d'en être membre. »

44. Les chefs militaires de terre et de mer rendent aux ministres de la guerre et de la marine un compte particulier de toutes les peines graves de discipline qui ont été infligées à des légionnaires sous leurs ordres.
Ces ministres transmettent des copies de ce compte au grand chancelier.

45. La cassation d'un chevalier de la Légion, sous-officier en activité, et le renvoi d'un soldat ou d'un marin chevalier de la Légion d'honneur, ne peuvent avoir lieu que d'après l'autorisation des ministres de la guerre et de la marine. Ces ministres ne peuvent donner cette autorisation qu'après en avoir informé le grand chancelier, qui prendra les ordres du Président de la République.

46. Le Chef de l'État peut suspendre, en tout ou en partie, l'exercice des droits et prérogatives, ainsi que le traitement attaché à la qualité de membre de la Légion d'honneur, et même exclure de la Légion, lorsque la nature du délit et la gravité de la peine prononcée correctionnellement paraissent rendre cette mesure nécessaire.

TITRE VII.

ADMINISTRATION DE L'ORDRE

47. L'administration de l'ordre est confiée à un grand chancelier, qui travaille directement avec le Chef de l'État ; il entre au conseil des ministres toutes les fois que le Président juge convenable de l'y appeler pour discuter les intérêts de l'ordre.

48. Un secrétaire général, nommé par le Président de la République, est attaché à la grande chancellerie ; il a la signature en cas d'absence ou de maladie du grand chancelier, et le représente.

49. Le grand chancelier est dépositaire du sceau de l'ordre.

50. Tous les ordres étrangers sont dans les attributions du grand chancelier de la Légion d'honneur.

51. Les décrets relatifs à la Légion d'honneur sont contresignés par le ministre d'état, et visés par le grand chancelier pour leur exécution.

52. Le grand chancelier présente au Chef de l'État :
1° Les rapports, projets de décrets, règlements et décisions concernant la Légion d'honneur et les ordres étrangers ;
2° Les candidats présentés par les ministres, par d'autres personnes ou par lui, pour les nominations ou promotions ;
3° Il prend ses ordres à l'égard des ordres étrangers conférés à des Français ;
4° Il transmet l'autorisation de les porter ;
5° Il soumet à l'approbation du Chef de l'État le travail relatif aux gratifications extraordinaires des membres de l'ordre, ainsi qu'à l'admission et à la révocation des élèves pensionnaires et gratuites dans les maisons d'éducation de l'ordre ;
6° Il dirige et surveille toutes les parties de l'administration de l'ordre, ses établissements, la perception des revenus, les paiements et dépenses ;
7° Il présente annuellement les projets de budget, préside les assemblées de canaux, etc.

53. La cour des comptes est chargée de l'apurement et règlement des comptes et dépenses annuels de la Légion d'honneur.

54. Un conseil de l'ordre est établi près du grand chancelier, qui le réunit tous les mois.
Le conseil de l'ordre se compose comme suit :
Le grand chancelier, président ;
Le secrétaire général, vice-président ;
Dix membres de l'ordre ;
Plus un secrétaire à la nomination du grand chancelier et aux appointements de six mille francs.

55. Les membres du conseil sont nommés par le Président de la République.
Le conseil sera renouvelé par moitié tous les deux ans.
Les membres sortants pourront être renommés.
Lors du premier renouvellement, les membres sortants seront désignés par le sort.

56. Le grand chancelier et le conseil veilleront à l'observation des statuts et règlements de l'ordre et des établissements qui en dépendent.
Le conseil donnera son avis :
1° Sur la répartition des nominations et promotions dans la Légion d'honneur entre les divers ministères et la grande chancellerie ;
2° Sur l'établissement du budget de la Légion d'honneur et sa répartition entre les diverses branches du service de la grande chancellerie ;
3° Sur le règlement des comptes de recettes et dépenses de ces services ;
4° Sur les mesures de discipline à prendre envers les membres de l'ordre ;
5° Sur toutes questions pour lesquelles le grand chancelier jugera utile de provoquer son avis.

57. Il sera publié tous les ans, par les soins et sous la direction de la grande chancellerie, un annuaire de l'ordre de la Légion d'honneur.

58. Toutes les dispositions antérieures, contraires à celles du présent décret, sont abrogées.

59. Les ministres et le grand chancelier de la Légion d'honneur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.

Fait au palais des Tuileries, le 16 Mars 1852.

LOUIS-NAPOLÉON.

Par le Président :
Le Ministre d'État, X. de CASABIANCA
Vu pour l'exécution :
Le Maréchal, Grand Chancelier de la Légion d'honneur, EXELMANS.

 

 

 

 

 

 

 

 

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